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Blog de Frédéric Blindt

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Intermittents du spectacle : le débat

Loin de vouloir transformer cet article en tribune politique, je souhaite simplement évoquer quelques pistes de réflexion et avis sur le sujet, fort de mon expérience de « bénéficiaire » de ce régime depuis plus de quinze ans. Je ne veux en aucun cas pointer du doigt certaines personnes ou corporations, mais plutôt apporter une vision claire au débat, vision souvent tronquée par un manque d’information ou par idéologie.

Si je ne devais poser qu’une seule question aux différents protagonistes, ce serait celle-ci :

Quelle place veut-on donner à la culture, en France, en 2014 ?

Tant que l’on n’aura pas répondu à cette question fondamentale, il sera difficile d’envisager un consensus sur le sujet.
De cette question découlent les suivantes : L’exception culturelle française mérite-t-elle qu’on la soutienne ? Et surtout : La culture est-elle seulement une dépense ? Doit-elle être rentable ?
On peut considérer que la Culture ne doit pas être soutenue et ne relève pas du service public... c'est un point de vue... qui va à mon sens à l'encontre de notre rayonnement internationnal et d'une offre culturelle riche et de qualité.
Mais concentrons nous sur ce qui fait débat aujourd'hui : le régime des intermittents.
Pour information, les intermittents ne sont pas les seuls à bénéficier d'un régime spécifique (comptons aussi les travailleurs du bâtiment, les dockers, les marins, les aviateurs, les intérimaires, les concierges, les représentants de commerce, les journalistes...) et si le régime est spécifique, il y a des raisons spécifiques !
Mais de quoi parle-t-on ? De financement de la culture ou de droits sociaux ? Des deux, mon capitaine.
Si l’on s’accorde à dire que la création artistique n’est pas une valeur marchande comme les autres alors il faut, selon moi, la financer et l'organiser en fonction de son fonctionnement spécifique.

Ce régime coûte trop cher.

Alors ce régime coûte de l’argent… certes mais il vaudrait mieux dire "l'assurance chômage coûte de l'argent", quand bien même ce raisonnement est absurde puisqu'il s'agit d'une assurance sociale répondant forcément à des fluctuations et des données structurelles.
Rapellons également les éléments suivants :
- Les intermittents représentent 3.5% des chômeurs indemnisés et perçoivent 3.4% des indemnités.
- Le régime des intermittents représente 1/30ème des dépenses de l'Unedic.

On entend partout le chiffre d’1 milliard d’euros ! Remettons les pendules à l’heure.
Ce que l’on appelle « déficit » de l’assurance chômage est en réalité une balance négative, l'assurance chômage étant structurellement déficitaire. Ce que l'on appelle "déficit" (connotation clairement orientée vers des valeurs uniquement arithmétiques et non sociales), c’est la différence entre les prestations versées et les cotisations reçues.
Au passage, notons que les intermittents cotisent presque deux fois plus que les autres (7% pour l’employeur et 3,80% pour le salarié, contre 4 et 2,40% dans le régime général).
Ce « déficit » représente pour le régime général 700 millions d’euros et pour le régime des intermittents : 1 milliard.
Ce qui signifie que le régime des intermittents "coûte" réellement 300 millions (320 pour être précis) de plus que le régime général (1milliard moins 700 millions).

Alors oui cela coûte, mais pas autant qu’on ne le laisse entendre… mais surtout on ne peut pas comparer ces 2 régimes (général et intermittents) dont les données structurelles n'ont rien à voir.
La comparaison est également faussée car les conditions d'accès à l'allocation sont très différentes :
- Un salarié dans le privé, privé de CDI par exemple devra attester de 610 heures de travail en 28 mois pour être indemnisé pendant 2 ans maximum avec la règle de 1 jour travaillé = 1 jour indemnisé (ou 610 heures sur 36 mois et 3 années d'indemnités maximum s'il a plus de 50 ans) au régime général.
- Un salarié du spectacle ou de l'audiovisuel (en contrat CDD intermittent) devra attester de 507 heures sur 10 mois pour être indemnisé pendant 8 mois au régime intermittent.

Je ne dis pas que c’est à l’assurance chômage de subventionner la production culturelle dans notre pays mais face aux réalités de fonctionnement de ces activités et en l’absence d’alternative sérieuse, quelle est la solution ? Faîtes des propositions.

Mais cela peut rapporter gros.

N’oublions pas puisqu’on est dans les chiffres, que soutenir une politique culturelle cela coûte mais cela peut aussi rapporter… ce que nous rappelle notre ministre de la culture, Aurélie Filippetti : Les Intermittents « contribuent à un secteur représentant 3,2  % du produit intérieur brut. C’est presque 59 milliards d’euros de valeur ajoutée, de richesse créée dans le pays. Economiquement, on a besoin des intermittents. Quand vous investissez un euro dans un festival ou un établissement culturel, vous avez 4 à 10 euros de retombées économiques pour les territoires. ».

Vers une suppression du régime des intermittents ?

La suppression pure et simple du régime proposée par le Medef est une proposition aberrante. Je pense qu’ils ont choisi de frapper fort pour obtenir un maximum d’écho à leurs revendications, mais l’avenir nous le dira.
D’une part, nous ne sommes pas les seuls à bénéficier de régimes spéciaux. D’autre part, il faut sans cesse expliquer que ce « statut » n’est pas un statut de privilégié mais répond à une réalité sociale et économique de nos métiers.
Intermittents, fainéants ?
Rappelons une fois encore qu’un comédien par exemple passe beaucoup de temps à apprendre un texte, à monter un spectacle, à s’investir dans un projet pour le préparer, parfois ce même comédien quand il fait partie d’une troupe, aide même à monter le son, les lumières et tout ce temps n’est pas directement rémunéré. Le musicien, lui doit répéter, composer, faire des maquettes, souvent à ses propres frais. Les artistes investiront également dans du matériel : instruments pour les musiciens, micros pour les voix-off, costumes pour les comédiens, ordinateur, logiciels, caméras pour un réalisateur ou un monteur, etc. Concernant les techniciens, tout comme la plupart des artistes, la majorité ne travaille pas pour une seule production et doit sans cesse alterner des périodes d’activités et de chômage.
Il faut travailler 507 heures pour prétendre au statut…
Les fameuses 507 heures ne sont pas si simples à atteindre pour beaucoup. Et en réalité, je peux témoigner par exemple que pour un technicien du spectacle, une journée comptabilisée 8 heures par l’employeur et donc par Pole Emploi représente en fait souvent bien plus en travail effectif. Par exemple, un régisseur de scène sur un festival (ou un technicien du cinéma) sera là dès 9h00 le matin pour réceptionner et mettre en place le matériel (et il aura fait sa préparation pendant plusieurs jours en amont, travail pas toujours bien rémunéré…). Les balances (répétitions, etc) auront lieu l’après-midi, les spectacles le soir. Ensuite il faut ranger et éventuellement préparer le plateau pour le lendemain. Bilan : minimum 15 heures de travail, comptabilisées pour 8 heures…
Il est souvent trop complexe de faire partir la personne en milieu de journée pour la remplacer quand elle a été en charge de tout un dossier sur une exploitation.
Enfin, s’il existe quelques sociétés qui pourraient employer certains métiers à temps plein, ce n’est absolument pas la majorité. Les spectacles, productions de films, etc. ,sont par essence des événements éphémères, inscrits dans une période précise et, entre deux périodes, il faut bien chercher du travail.

Quant aux salaires, ils n’ont guère évolué depuis de très nombreuses années, et le recours au CDD d’usage témoigne bien de la précarité du système.

Nous sommes les seuls dans le monde à bénéficier d'un tel régime.

Oui. Mais pensez-vous que nous pouvons comparer si facilement notre système économique et culturel à celui d'un autre pays ? Dans bien des pays, nos métiers sont soit très précaires soit la rémunération tient compte de l'absence de régime spécifique et donc les salaires sont bien plus élevés. En effet, embaucher un artiste ou un technicien coûte bien souvent le double par rapport à la France.

Et les abus ?

Enfin, il y a ceux qui abusent du système… Et oui, les fameux « permittents ».
Personnellement, travaillant dans le secteur depuis plus de quinze années, je n’en ai réellement pas croisé beaucoup, même si cela existe. Comme dans tout système il y a des profiteurs et cela est condamnable. Mais de là à dire que ce sont les responsables de tous nos maux. Selon la cour des comptes, les « permittents » représenteraient 15% et selon l'Unedic 3% sur les 105000 intermittents recensés (sur un total réel de 250000 intermittents dont 105000 ont droit à l'indemnisation)

La fin justifie les moyens ?

Alors, à quelle sauce serons-nous mangés ? Le mystère reste entier. Des propositions sont faites de part et d'autre et il serait bon d'analyser les choses sereinement, sans à priori, pour que cela avance. En tout cas, je souhaite de tout cœur que l’on cesse d’opposer les uns aux autres et que l’on puisse offrir un débat objectif et orienté vers la culture.





Sources
http://fr.wikipedia.org/wiki/Intermittent_du_spectacle

http://www.m.lesechos.fr/redirect_article.php?id=0202711315953

Rapport d’informations de l'assemblée nationale sur le coût réel du régime des intermittents du spectacle (pdf)

http://www.politis.fr/Les-intermittents-du-spectacle,25303.html

Chaîne Youtube de la Coordination des intermittents d'Ile-de-France